19

 

Gosseyn ouvrit les yeux dans des ténèbres absolues.

Se souvenant de ce qui venait de lui arriver – cette sensation de vertige –, il demeura allongé, immobile. Il s’écoula à peu près une douzaine de secondes avant que l’idée lui vienne que… Cela se pouvait-il ? Était-ce possible ?

Il venait de se rendre compte que c’était exactement ainsi que le corps de Gosseyn Trois s’était réveillé après que sa capsule spatiale avait été ramenée à bord du navire de guerre dzan.

« … Je suis couché, nu, recouvert d’un tissu léger (d’après mes données sensorielles)… »

Il remua un peu les bras et les mains. C’était bien un drap, tissé, pas très épais ; à part cela, il ne portait aucun vêtement. Ses doigts entrèrent en contact avec sa peau tiède.

Lentement, avec précaution, il ôta le drap et dégagea la partie supérieure de son corps. Et puis, tout aussi lentement, il leva les mains pour tâter.

Il toucha une surface plate. À moins de trente centimètres de sa poitrine, estima-t-il. Et lorsqu’il s’arc-bouta et poussa contre elle, il s’aperçut qu’il s’agissait d’une substance lisse et robuste qui ne céda pas sous ses efforts.

… Exactement comme quand il s’était réveillé dans la capsule… il n’y avait pas plus de deux jours.

Il se laissa retomber de tout son long. « Est-ce qu’ici aussi, on observe ce que je fais ? Ou suis-je coupé de l’extérieur ? »

À cause de ce brusque sentiment d’incertitude, il décida qu’il était temps de se livrer à un essai.

— Alter ! Que penses-tu de ce qui vient de m’arriver ? Y a-t-il eu… (il hésita, troublé par cette éventualité)… un autre mort dans notre groupe ?

Le silence. Une impression de vide… là-bas. Puis, soudain, le contact, comme une porte qui s’ouvre.

— Depuis quelques secondes, répondit Gosseyn Deux, je n’avais plus qu’une vague conscience de ton existence. Même tes pensées ne m’arrivaient que faiblement. Il se peut que quelqu’un ait décidé de laisser la communication s’établir, car tout est devenu brusquement plus clair.

Ce n’était sans doute pas le moment de chercher qui cela pouvait être. L’alter ego continua à répondre aux questions posées par Trois.

— Je ne pense pas que toi, Gosseyn Trois, tu sois mort. Donc ce n’est pas un autre Gosseyn qui est en train de se réveiller.

C’était un soulagement d’entendre cette affirmation, mais elle lui donna tout de même le frisson. Car cela voulait dire que l’être qui accomplissait ces étonnants miracles technologiques était au courant de son précédent réveil.

Parce qu’il se trouvait dans un type de capsule tout à fait similaire.

Ce qui éveilla en lui une idée nouvelle : la fois précédente… il y avait eu tous ces tuyaux…

Il n’éprouvait pas, comme lors de son premier réveil, la sensation physique d’avoir des tubes en caoutchouc ou des aiguilles plantés dans le corps. Et lorsque ses doigts explorèrent, avec précaution, son corps jusqu’aux extrémités, ils ne rencontrèrent que la peau nue.

Il appela mentalement Gosseyn Deux.

— On dirait que tu as raison. Ce n’est pas Gosseyn Quatre en train de se réveiller. Comme tu l’as correctement analysé, cela ressemble à un Gosseyn Trois capturé.

Cette constatation commença par le rassurer. Puis il se dit que s’il s’agissait bien du corps d’un Gosseyn capturé, ce n’était pas une raison pour que lui, le prisonnier, se sente soulagé.

De nouveau inquiet, il reprit sa conversation mentale avec le Gosseyn qui était en sécurité… là-bas.

— On dirait que ces étrangers ont réussi à m’atteindre, par-delà des dizaines de milliers d’années-lumière ; ils se sont emparés de moi et m’ont expédié quelque part.

— Souviens-toi qu’ils ont effectué électroniquement une sorte de prise sur toi, avant même que tu quittes le vaisseau dzan. Ils ont fini par résoudre le problème du contrôle à distance et sont passés à l’action.

Étendu là, dans les ténèbres, Gosseyn Trois fut obligé de reconnaître l’évidence de cette explication.

— Après tout, reprit Deux, rappelons-nous que le cerveau second des Gosseyn a fait la preuve qu’à un certain niveau de réalité la distance n’existe plus.

C’était vrai. Mais ce n’était pas réjouissant de reconnaître que quelqu’un d’autre avait utilisé une méthode semblable à la sienne pour capturer le corps d’un Gosseyn. Puisque le navire ennemi n’avait pas hésité à attaquer le vaisseau de guerre dzan, on pouvait se demander : pourquoi ces étrangers n’avaient-ils pas tout simplement tué Gosseyn Trois ?

La réponse de Gosseyn Deux lui parvint alors, étrangement froide et détachée.

— Je pense que nous pouvons enfin analyser la situation. Ils sont sûrement en train de t’étudier. Ils aimeraient reconstituer ce qui leur est arrivé. Ici, ils sont dans une autre galaxie ; et ils ont maintenant entre les mains le scélérat responsable de ce désastre. Aussi attends-toi à passer en jugement pour crime de transport illégal.

Ce n’était pas un commentaire très rassurant.

Gosseyn Trois se souvint que, lorsqu’il était sur Terre, il avait exprimé le souhait de se rendre à bord du navire ennemi afin de rencontrer les semi-humains.

Cette confrontation allait se passer dans des conditions beaucoup moins favorables ; ils savaient où il était, mais lui l’ignorait.

Ce qui l’ennuyait peut-être le plus, c’était qu’il aurait dû se préparer à partir, et non pas rester ici à attendre dans l’espoir de découvrir ce que ces êtres mystérieux voulaient faire de lui.

Gosseyn Deux dut capter cette pensée qui ne lui était pas destinée, car il se manifesta soudain.

— Réfléchis bien avant de faire quoi que ce soit. Comme je te l’ai dit, tes ravisseurs sont peut-être en train de t’observer, donc d’étudier les capacités du cerveau second des Gosseyn. N’oublie pas tout ce que cela implique, surtout si, comme tu viens de le rappeler, tu essayais de trouver le moyen de revenir ici.

— Tu supposes donc que je suis à bord du vaisseau ennemi ?

— Étant donné ce qui s’est passé jusqu’à maintenant, c’est non seulement possible mais fortement probable.

— C’est vrai, reconnut Gosseyn Trois du sein de ses ténèbres. Alors, que me recommandes-tu de faire ?

— Attendre !

… L’attente s’éternisait.

Il se dit que ceux qui l’observaient devaient se demander ce que lui allait faire. Et l’une des choses possibles serait de retourner à bord du vaisseau de guerre dzan.

Cela le mettrait sous la protection des écrans du grand navire. Est-ce que ses ravisseurs étaient prêts à le laisser s’enfuir vers un lieu où ils ne pourraient plus le contrôler ?

Comme il en était arrivé là de son analyse, il s’aperçut que l’autre Gosseyn hochait mentalement la tête.

— C’est une bonne idée de venir ici, à condition que tu ramènes d’abord Enin dans ses appartements. Sa mère pense qu’il est avec toi ; et tu ferais mieux de ne pas arriver sans lui.

— D’accord. Je vois maintenant où je dois me rendre en premier.

Sa décision était prise. Gosseyn rassembla ses forces ; son cerveau second se concentra pour accomplir la transmission par similarisation à vingt décimales…

À ce moment, une voix dit :

— Sortez-le ! Le… (un mot dénué de signification) veut lui parler !

Un silence ; puis le lointain Gosseyn Deux lui lança un avertissement :

— Attention, Trois ! Ils ont dû te laisser entendre cela à dessein. A priori, l’idée d’un entretien serait plutôt rassurante. Mais dès qu’ils sont arrivés dans ce secteur de l’espace, ils sont passés à l’attaque ; rappelle-toi qu’ils n’ont aucun sentiment amical. Aussi, je te conseille d’être prêt à sauter s’il ne s’agit que d’un simple stratagème.

Il sentit brusquement une partie de sa couche bouger. Comme la première fois – il y avait maintenant deux longs jours – le mouvement s’effectua dans la direction à laquelle il faisait face.

Gosseyn soupira intérieurement. Ce n’était pas un sentiment de soulagement qu’il venait d’exprimer ainsi… thalamiquement. C’était une tension nerveuse qui s’intensifia tandis que le mouvement régulier l’amenait plus près de… de quoi ?

Peut-être les Troogs essaieraient-ils aussi de se dissimuler tandis qu’à l’aide de leurs instruments ils l’étudieraient des pieds à la tête.

Devait-il les laisser faire ? Avec tristesse, il se reprit car la bonne question, c’était : pouvait-il les en empêcher ?

Il pensa à l’endroit où il essaierait de se rendre en premier et il fit ce qui était nécessaire pour « armer » son cerveau second en vue du saut par similarisation à vingt décimales jusqu’au lieu choisi.

Son indécision reposait sur une incertitude sous-jacente et fondamentale, particulière à la condition des Gosseyn.

Des événements arrivaient, sans interruption, au duo des Gilbert Gosseyn qui étaient en vie. Et sur un certain plan d’existence, celui où tous deux fonctionnaient en équipe, il importait peu que l’un des corps soit tué du moment qu’il en restait un autre pour continuer, équipé des capacités et des souvenirs du double. Sur ce plan-là, c’était une bonne idée d’affronter ces gens avant d’avoir vraiment compris ce qu’ils pouvaient faire.

« … Mais d’autre part, si ce corps était tué… c’est moi qui disparaîtrais à jamais. »

Il se sentit aussitôt coupable. « Nous, les Gosseyn, nous avons un pouvoir de similarisation grâce auquel mémoire égale identité… des corps semblables qui passent et se perpétuent. Il y a ce groupe de corps âgés de dix-huit ans qui attendent encore, là-bas, quelque part… »

« En dépit de cette réalité-là, je suis le seul, peut-être le premier, à me considérer comme une personne indépendante. »

Selon la Sémantique générale, il était un être distinct, bien sûr ; un ensemble complexe de particules et de flots d’énergie ayant la forme d’un être humain, différent de toutes les autres formes similaires existant dans l’univers, y compris Gosseyn Un et Gosseyn Deux.

Quelques-unes des implications de ce rapide raisonnement, mené dans cette situation de tension, atteignirent l’alter ego lointain, car brusquement il cria :

— Hé ! Attends une minute ! Il faut que nous en parlions !

Mais à cet instant même, une porte s’ouvrit. Gosseyn se retrouva en pleine lumière et il vit plusieurs êtres bipèdes, aux corps étrangement tordus, qui le regardaient fixement de leurs yeux noirs et ronds dépourvus de paupières.

Cette vision troublante suffit à déclencher une réaction.

La fin du Non-A
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